Amertume
Brouille en brouillard
Le soleil boude
Les vagues ondulent
Et de son âme malade
Le roc couvert d’algues
Laisse couler
Au bord de sa mémoire
Le sillon bleu
D’une larme de mer
Silhouette
Dans la brume
Jardinier des côtes
Statue des vents
suppliant Triton
De dompter
L’insouciance humaine
Et la colère marine
Au loin se perd
Le son plaintif
D’une corne de brume
Le conte du soleil perdu
Le soleil pleure et
la lune rit
Mon petit doigt sait
bien tout ça
Le soir s'assombrit
sur la terre
L'indigo mange le
blanc
Le gris sous son masque sourit
Le conte que tu me
racontes
N'a pas de tête, n'a
pas de sens
Dans sa chaumière le
vieux se meurt
Personne ne veut
écouter son mal
Sa solitude amère
Sur les mers des
jeunes se noient
La vague les enfouit
dans le sable
Les portes se ferment
Le soleil a été
inventé pour éclairer
Quand mes yeux se
ferment
Le noir l'emporte
Je n'y peux rien
Et toi non plus
C'est le conte du
soleil perdu.
Le jardinier pleureson jardin essoré de ventses salades grêléesIl ne devrait pas gémirl'avenir toujours fuyantAprès les inondations de janvier, la neige de février, la morsure du gel de mars, il plonge loin dans ses pensées, se rappelle ses cours d'histoire.L'humble jardiniersonge à la pensée sauvage*cueillant sans pillerne chassant que pour nourrirune tribu affaméeLe soleil précoce d'avril, la pluie et le froid de mai, avant les orages ont fait place à la sécheresse, à la chaleur harassante.Une planche de carottess'ébroue et se rafraîchitaux gouttes d'arrosoirles petits pois rabougrisont séché sur les tuteursLe locataire des lieux renoue avec les sagesses millénaires, acteur de sa vie certes, à sa juste mesure, dans l'immensité des mondes.©Jeanne Fadosi* allusion à une citation de Prévert« Le vrai jardinier se découvre devant la pensée sauvage. »Jacques Prévert, Fatras, 1966,Adonides, 1972,1975
Les larmes du jardinierUn matin, il y a de ça fort longtemps, un jardinier avait brûlé les herbes de son vieux jardin, il avait décidé de le refaire, plus beau, plus harmonieux, afin d’y finir ses jours. Il ne restait plus que de la cendre sur la terre.Satisfait de son travail, il s’était mis à réfléchir devant cette étendue vierge et prometteuse.Quel aspect aurait donc le nouveau jardin qu’il allait planter là ? Il ferma les yeux et se mit à rêver.Il échafauda des plans, modifiant à l’envi dans son rêve, le parcours d’une allée, l’emplacement d’une tonnelle où goûter l’ombre l’été, celui d’un bassin où nageraient des poissons plus merveilleux les uns que les autres et où viendraient boire les oiseaux…Il souriait, s’imaginant se promener dans ce parc enchanteur et changeant sans cesse la disposition des plans pour atteindre la perfection.Mais pendant qu’il rêvait, pendant qu’il faisait et défaisait ses plans, les ronces, toujours promptes à envahir les espaces abandonnés, proliférèrent tant et tant qu’on ne vit plus un seul espace de terre vierge.Un jour, en sortant de son rêve, car il faut bien que les rêves aient une fin, le jardinier découvrit son jardin mangé par les ronces et les mauvaises herbes.Éploré devant un tel malheur, il se mit à gémir, il avait fait tout ce travail pour rien, pour avoir pire qu’avant. Il avait détruit un beau jardin et l’avait offert en cadeau aux ronces.Alors il se mit à le regretter son vieux jardin imparfait. S’il n’avait pas été pris de cette folie de détruire, il aurait pu maintenant se reposer à l’ombre des forsythias, il aurait pu écouter chanter les oiseaux dans un décor enchanteur et profiter de ce lieu pour y reposer sa vieillesse… Car il avait beaucoup vieilli. Les rêves, ça prend du temps si l’on n’y prend garde.Ses larmes se mirent à couler, à couler et plus elles coulaient, plus son vieux jardin lui paraissait plus beau et plus il en avait de regret. Il fut pris de désespoir devant tant de beautés perdues, ses larmes nourrissaient ses larmes, elles étaient intarissables. Elles ruisselaient sur la terre et plus elles ruisselaient plus le roncier assoiffé proliférait. L’espace qu’il occupait devint impraticable, c’était une forêt plus impénétrable que celle qui entourait le château de la Belle au bois dormant.De ruisseau, ses larmes devinrent un fleuve, le fleuve à son tour devint une mer, une mer salée comme les larmes et le jardinier désespéré, affaibli, un soir de pleine lune, fut emporté par une vague.Jamais personne ne le revit, il s’était sans doute noyé dans son chagrin.Voilà pourquoi, quand on raconte son histoire, comme je vous la raconte maintenant, à la veillée, à l’heure où les ombres dansent menaçantes sur les murs, on conseille à ceux qui écoutent et qui rêvent de toujours garder un œil ouvert.Que ce conte vous fasse un heureux jour.
©Adamante Donsimoni
Tiré de "Comment fut guéri le soleil et autres contes"
(sacem/sacd)